OO-ARK à Waterloo

Nous sommes à Annonay, village des frères de Montgolfier, le 15 septembre 1979, soit 196 ans après leur première ascension. C’est le challenge Champagne Mercier. Compétition de distance, seul à bord ; départs libres pendant 24 heures. Mon équipe de récupération est constituée de Jacques Van Ginderdeuren, Brigitte, Yves et Christian d’Oultremont.

Ce matin, la météo n’est pas au top, ciel couvert, vent du Nord, 10 nœuds. Après le briefing, les pilotes sont dépités. A 9h10, je décide de m’envoler le premier. Étant seul à bord, j’embarque 6 bonbonnes dans la nacelle de l’OO-ARK (Aéro-Club Royal de Belgique, 1600 m3), une corde de 40m., une carte de la région, ma boussole, une radio, du papier WC pour voir la direction du vent entre le sol et la nacelle, une bouteille d’eau et des biscuits, sans oublier mon casque obligatoire en France me dit-on.

Le ballon très chargé s’élève très lentement après avoir tournoyé dans ce ciel gris. Dix minutes plus tard, je vois le ballon Champagne Mercier dans le ciel ; il me suivra pendant une heure puis se posera. Son pilote me dira plus tard :

Je vous ai perdu de vue, il n’y avait personne derrière moi. Me croyant seul en l’air dans cette poisse, je me suis posé dès que possible

Pilote du ballon Champagne Mercier
OO-ARK
OO-ARK

Pour ma part, je suis à l’Ouest du Rhône, passe péniblement des sommets élevés. Je donnerai cher pour perdre quelques kilos, ou pour voler audessus d’une belle plaine. Vers Valence, je suis à 3000 mètres, mais n’avance presque plus, aussi je descends à 100m. L’occasion d’avoir mon premier et dernier contact radio avec la récup’. Le ciel est bleu maintenant, il commence même à faire chaud. Le ballon accélère, le Mistral me pousse même à du 60 ou 80 km/h (selon des témoins qui me suivaient en voiture et rencontrés après mon atterrissage.) C’est grisant. Tout à coup, mon vario m’indique une ascension rapide alors que je chauffe normalement. Je lance un morceau de papier de WC qui, à ma grande surprise, s’élève et passe au-dessus du ballon. Je chauffe néanmoins pour ne pas retomber comme une pierre à la sortie de cette pompe. Je passe de 900 pieds à 2900 pieds en quelques secondes. La température du ballon indique 80° ; normal ! On se stabilise enfin avant d’entrer dans une nouvelle zone de turbulence, je suis poussé brutalement à gauche, puis à droite, l’enveloppe reçoit comme un gigantesque coup de poing de vent et se dégonfle d’un quart. Chauffons, chauffons pour compenser cette perte. Je me stabilise à 60 m du sol, le brave ‘Aéro-Club’ Princesse Alix reprend une vitesse normale. Arrivé à la hauteur de Montélimar, je constate que ma carte ne va pas plus loin. Continuons à vue. En fait ce n’est pas plus mal ; plus de carte à consulter, c’est une préoccupation en moins. Tiens un superbe pont romain, je le reconnais pour l’avoir vu dans mes livres de classe ; c’est le fameux pont du Gard. Le ballon qui ne s’y intéresse pas, lui, et continue son vol, pressé peut-être de voir la Méditerranée !

J’apprendrai quelques semaines plus tard que si nous avions fait les démarches nécessaires pour l’homologation, Le Princesse Alix (OO-ARK) aurait largement battu le record de Belgique …

Le vol rapide se poursuit jusqu’à ce que je commence à chercher un endroit ou me poser. Je ne vois que les plaines marécageuses de la Camargue et quelques vignobles. Pas très accueillant tout ça. Réfléchissons : La Camargue, puis la plage, puis la Méditerranée, puis l’Afrique, … Cesse de rêver, René-Michel, tu viens de brancher ta dernière bombonne de gaz sur les 6 embarquées. Plus le choix, il faut se poser. Je vole bas et trouve enfin sur mon axe un champ juste derrière un jeune vignoble. Mais il y a une ligne à haute tension sur ma trajectoire. Je monte, poussé par un Mistral toujours bien éveillé. La ligne passée, ouvrons le parachute. Qu’il porte mal son nom celui-là ! Le sol saute littéralement à l’assaut de la nacelle. Nous évitons de peux le dernier tuteur de vignoble. Heureusement car si j’avais touché ce tuteur, c’est toute la rangée de vignes qui se serait couchée, étant donné qu’ils sont tous reliés les uns aux autres par un fil. La nacelle rebondit une fois. Tout ce qui était libre dans la nacelle est éjecté. Trainé au sol sur 75m., ce sont des kilos de terre, de cailloux et de…pommes de terre se précipitent avec fougue sur et autour de moi. Nous nous arrêtons finalement, je suis encore pendu à la corde du parachute. Le contact avec le sol a été rude, mais pas de mal et merci mon casque ! Des spectateurs accourus sur place diront de leur merveilleux accent : Quel nuage de poussière. Une véritable bombe atomique… » On me dit que je suis à Manduel. Il est 13h20. J’ai donc parcouru un peu moins de 200 km en 4h10. Pas mal.

Rene-Michel de Looz
Rene-Michel de Looz au commandes de OO-ARK

J’apprendrai quelques semaines plus tard que si nous avions fait les démarches nécessaires pour l’homologation, Le Princesse Alix (OO-ARK) aurait largement battu le record de Belgique qui était, à l’époque, de 140 km pour un ballon de 1600 m3. (A vérifier). Rentrés à Annonay, nous apprendrons que durant cette compétions 4 montgolfières ont été ‘détruites’ et beaucoup d’autres ont subi des dégâts matériels plus légers. OO-ARK et moi nous sommes indemnes ; la chance d’une jeunesse impétueuse et parfois inconsciente.

René-Michel de Looz